
Le droit de regard dans le droit des marchés publics perd son mordant
Comme prévu, le Conseil fédéral a décidé à la mi-février 2020 de faire entrer en vigueur la révision de la loi fédérale sur les marchés publics (LMP) au 1er janvier 2021. Dans le même temps, le Conseil fédéral a publié l’ordonnance révisée sur les marchés publics (OMP).
Concernant l’OMP, il est intéressant de noter ce qu’il est advenu de ce funeste droit de regard. Rappelons que dans son projet de révision de la LMP, le Conseil fédéral avait inscrit un art. 59 intitulé «Droit de regard» qui, «en l’absence de libre concurrence» et pour des valeurs de marché de plus d’un million de francs, aurait donné aux pouvoirs adjudicateurs le droit de regard sans limite sur les livres des soumissionnaires. Cette disposition leur aurait permis de réexaminer a posteriori, et éventuellement de réduire, le prix convenu avec le soumissionnaire (avec droit à restitution). L’auteur de ces lignes avait commenté cette monstruosité dans un article de la Neue Zürcher Zeitung (NZZ) du 25 avril 2017 (à télécharger dans la rubrique «Echos médiatiques» du site Internet de l’usic).
Le Parlement a partagé ces craintes et biffé purement et simplement l’article en question lors des délibérations. Le droit de regard ne figure pas dans la nouvelle LMP.
Ce revirement n’a pas empêché le Conseil fédéral de rependre le sujet dans le cadre de l’OMP; il faut toutefois noter que l’ordonnance actuellement en vigueur contient déjà une disposition correspondante (art. 5, al. 1, OMP). Mais à la différence du projet du Conseil fédéral dans le cadre de la révision de la LMP (base légale/droit de regard automatique), la disposition actuelle repose sur l’idée que les autorités conviennent avec les soumissionnaires de régler un tel droit de regard dans les contrats. Il faut donc avoir le consentement des soumissionnaires. Selon nos informations, l’office fédéral compétent avait eu tout d’abord l’intention de reprendre telle quelle la disposition légale rejetée (droit de regard automatique) et, contre la volonté du législateur, de la régler au niveau de l’ordonnance. Mais la résistance s’était organisée au sein de la commission parlementaire compétente.
Nous constatons dès lors avec satisfaction que la nouvelle OMP contient à l’art. 24, al. 1, une disposition intitulée «Contrôle du prix» qui, non seulement est très éloignée de l’idée initiale (droit de regard automatique), mais est même formulée de manière plus modérée que la disposition actuelle de l’ordonnance. Tandis que celle-ci exige impérativement du pouvoir adjudicateur qu’il convienne avec le soumissionnaire d’un droit de regard (soit dit en passant: il est étrange qu’une ordonnance puisse exiger unilatéralement la conclusion d’un accord qui, aux termes de l’art. 1 du CO, exige la manifestation concordante de la volonté des parties…), la nouvelle disposition prévoit seulement que le pouvoir adjudicateur peut convenir d’un tel droit de regard avec le soumissionnaire. L’obligation actuelle (contraire aux principes) devient une possibilité. Il existe ainsi un double obstacle. Il faut tout d’abord que l’autorité décide si elle veut ou non convenir d’un tel droit de regard. Si elle le veut, il faut ensuite obtenir l’accord du soumissionnaire.
Il sera intéressant de voir quelle pratique s’imposera. Un soumissionnaire bien avisé ne consentira jamais à conclure un tel accord. Autrement dit, il ne le fera que sous la pression, notamment si l’existence du mandat en tant que tel était menacée. Un pouvoir adjudicateur pourrait être tenté, dans l’appel d'offres, de prévoir une clause contractuelle contraignante dans ce sens. Ce faisant, il risquerait de restreindre inutilement le marché des offres ou de se voir reprocher un comportement abusif sur le marché.
Le mieux serait encore que ce nouvel art. 24 de l’OMP révisée este lettre morte. Là aussi, l’engagement de l’usic pourra être payant.